Deux analyses fonctionnalistes de l’indépendance des agences de notation

De crise en crise, les agences de notation financière sont la cible de sévères critiques. Pourtant, voilà plus d’un siècle que le business de notation des émetteurs se poursuit comme une activité indépendante et lucrative. Comment cela se fait-il ?
Deux réponses ont été proposées récemment à l’Association d’études sociales de la finance. Lors de la dernière séance du séminaire SSFA, Ludovic Moreau a présenté un papier sur l’histoire des agences de notation, tiré de sa thèse qu’il soutiendra le 23 septembre 2009. Sa communication fait écho à l’article qu’a publié dernièrement Sabine Montagne à propos de l’indépendance des évaluateurs financiers.

1. « A Century of Bond Ratings as a Business » :
Après s’être livré à une étude historique de leur profitabilité, L. Moreau minore les raisons avancées par le juriste américain Frank Partnoy (2006) pour expliquer pourquoi les agences de notation sont si profitables. Selon celui-ci, les agences de notation bénéficient d’une rente réglementaire, dans la mesure où les émetteurs ont l’obligation de se faire noter avant d’emprunter. En second lieu, elles jouissent d’une immunité légale de fait, dans la mesure où aucune attaque en justice contre une agence n’a jamais abouti. Enfin, leur présence au cœur de la chaîne d’émission des produits structurés leur procure une position idéale pour capter les profits de ce secteur. Selon L. Moreau, les arguments de F. Partnoy sont insatisfaisants car ils négligent le fait que la profitabilité des agences de notation s’est accrue bien avant l’apparition de la finance structurée. Ils omettent également de reconnaître que l’efficacité de la rente réglementaire dépend de la structure de financement de la notation. Ce n’est que lorsque les agences sont payées par les émetteurs que la rente apparaît. Pourtant, avant les années 1970, c’étaient les investisseurs qui payaient pour obtenir des informations sur la santé financière de leurs débiteurs actuels ou potentiels. Dans un tel système, ce n’est pas parce que les émetteurs sont obligés de se soumettre à la notation que des investisseurs s’intéressent nécessairement à cette information et sont prêts à l’acheter.

En réalité, si les agences de notation sont passées d’un système financé par les investisseurs à la recherche d’information financière à un système financé par les émetteurs en mal de certification, c’est parce que la structure macroéconomique du marché des obligations a changé, nous dit L. Moreau. Ce renversement a eu lieu bien avant la révolution de la finance structurée puisqu’il s’étale des années 1960 aux années 1980.
_Du côté de la demande de capitaux, la part de l’Etat américain, très importante depuis les montants extraordinaires d’emprunt hérités des investissements réalisés pendant la Seconde Guerre mondiale, s’est peu à peu réduite. Elle a été remplacée par des obligations moins évidentes à apprécier par les investisseurs américains, comme celles qui proviennent d’émetteurs étrangers, firmes ou Etats. Pour profiter des capitaux américains, ces émetteurs étaient disposés à payer le coût de la certification.
_Du côté de l’offre de capitaux, les catégories d’investisseurs qui possédaient la plus grande part des obligations ont été remplacées par de nouvelles catégories. Ce ne sont plus les compagnies d’assurance, les banques commerciales ou les administrations publiques qui détiennent les plus larges quantités d’obligations mais les foyers individuels, les organisations sans but lucratif, les investisseurs étrangers et les fonds d’investissement. Ceux-ci sont précisément les investisseurs les plus enclins à préférer l’existence d’une certification externe des titres émis à la production d’information financière à interpréter.
Ainsi, l’excellente profitabilité des agences de notation, surtout depuis les années 1970, provient de ce que leur fonction certificatrice est parfaitement adaptée à la nouvelle structure macroéconomique des marchés obligataires.

2. « Des évaluateurs financiers indépendants ? Un impératif de la théorie économique soumis à l’enquête sociologique » :
S. Montagne s’interroge sur la réalité de l’indépendance des acteurs financiers chargés de l’évaluation des actifs (agences de notation et analystes financiers). Elle reprend les éléments qui montrent que, malgré ce qui est claironné, les évaluateurs ne sont pas indépendants. Leur activité est soumise à de nombreux conflits d’intérêts entre les différents rôles qui sont les leurs. Pourtant, l’existence de ces évaluateurs et la proclamation répétée de leur indépendance montrent qu’ils fournissent une justification institutionnelle à un problème de légitimité du système financier contemporain. Ils sont chargés d’apporter la preuve que les marchés réunissent des acteurs hétérogènes qui négocient des biens dotés d’une valeur objective, et non des acteurs mimétiques qui portent une évaluation autoréférentielle. Prétendument indépendants, les analystes financiers et les agences de notation sont en réalité les gardiens du mythe de la valeur fondamentale des actifs financiers.

3. Deux analyses fonctionnalistes des agences de notation dans le système financier :
Chacun à leur manière, L. Moreau et S. Montagne expliquent l’indépendance des agences de notation par une analyse fonctionnaliste. Toutefois, leurs propositions renvoient à un mécanisme inversé. Pour L. Moreau, l’indépendance des agences tient à ce que leur fonction dans le système financier leur en donne les moyens. Pour S. Montagne, la raison de l’indépendance est elle-même fonctionnelle pour le système financier dont elle permet la pérennité sur les bases jetées par les théories financières du second vingtième siècle.

Pierre de Larminat. 22 sept. 2009

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